Refondre un logiciel, ce n’est pas juste moderniser une stack. C’est repenser en profondeur l’architecture, l’ergonomie et les processus métiers. Et surtout, cadrer le projet dès le départ pour éviter l’effet tunnel, les dérives fonctionnelles et l’absence d’adhésion.
C’est là que tout se joue. Un bon cadrage, une roadmap flexible mais structurée, et une gouvernance qui aligne DSI et métiers permettent d’avancer avec méthode, sans perdre en agilité.
Dans nos précédents articles, on a vu comment :
- Analyser le travail de vos équipes pour identifier les vraies priorités terrain ;
- Fixer des objectifs clairs pour mesurer le succès d’un logiciel ;
- Définir les parties prenantes et les besoins utilisateurs pour garantir l’adoption.
👉 Maintenant, voyons comment poser des bases solides en structurant la refonte avec une approche itérative et un cadre clair.
Cadrer le projet : poser les bases et aligner la DSI avec les métiers
Mettre en place une gouvernance claire
Une refonte logicielle, c’est un projet qui implique des décisions structurantes sur l’architecture, l’expérience utilisateur et les workflows métiers. Si la gouvernance n’est pas cadrée dès le départ, on tombe systématiquement dans un déséquilibre entre approche "top-down" et "bottom-up" :
- Un projet monopolisé par la DSI, qui optimise la dette technique mais accouche d’un outil déconnecté des usages réels.
- Un projet dominé par les métiers, qui accumule les demandes sans arbitrage clair et finit par exploser en vol.
👉 Éviter ces dérives passe par une gouvernance efficace, articulée autour de deux groupes clés.
Le Groupe Métier : prioriser les besoins avec méthode
Prenons un cas concret. Un département métier demande une fonctionnalité permettant de générer 10 documents en un clic. Bonne idée ? Peut-être. Prioritaire ? Pas sûr.
Les bonnes questions à poser avant de valider :
- Effort technique ? Combien de jours-homme pour développer cette fonctionnalité ?
- Impact business ? Ex. gain de productivité : génération de +3 rapports/jour/consultant.
- ROI attendu ? En combien de temps cette fonctionnalité sera-t-elle rentable ?
👉 Si l’impact est réel et le coût raisonnable, on avance. Sinon, on revoit la priorité.
Le problème ? Les métiers sont souvent biaisés par leur utilisation quotidienne. Ils peuvent surestimer certains besoins ou ignorer les implications techniques.
Alors, c’est le Groupe Sponsor qui prend du recul.
Le Groupe Sponsor : fixer le cap et trancher rapidement
Prenons un cas typique. Le Groupe Métier veut refondre complètement un module de reporting pour optimiser l’analyse des données terrain. De son côté, la DSI estime que cette refonte nécessitera six mois de développement, retardera d’autres chantiers et mobilisera trop de ressources.
Que fait le Groupe Sponsor ? Il tranche. Plutôt que de suivre aveuglément la demande métier, il challenge la vraie nécessité :
- A-t-on besoin d’une refonte complète ou d’une solution plus simple ?
- Peut-on livrer rapidement des exports de données améliorés en 6 semaines ?
- Quel est le gain business réel par rapport à l’investissement technique ?
Son rôle n’est pas de dire oui ou non, mais d’arbitrer intelligemment pour maximiser l’impact tout en respectant les contraintes.
Les erreurs classiques ?
Un Groupe Sponsor trop passif, qui ne réagit qu’en cas de crise, ou au contraire omniprésent, qui micro-manage chaque décision et ralentit le projet. La clé est de ritualiser les arbitrages et d’établir dès le départ des critères de décision objectifs : quels KPIs pour mesurer l’impact de la refonte ? Quels délais et quelles limites budgétaires sont non négociables ?
Un contact utilisateur fréquent : le vrai moteur de la refonte
Trop souvent, la validation repose sur les managers, qui traduisent une vision macro des besoins. Mais ce sont les équipes terrain qui subissent au quotidien les frictions, les lenteurs, les doublons inutiles. Ignorer ces signaux, c’est prendre le risque de concevoir un produit contourné avant même d’être adopté.
Plutôt que de s’appuyer sur une étude unique en début de projet, la refonte doit intégrer les utilisateurs en continu :
- Tester les fonctionnalités en cours de route pour ajuster ce qui ne fonctionne pas avant qu’il ne soit trop tard.
- Observer le terrain : ce que les utilisateurs disent n’est pas toujours ce qu’ils font. Le vrai irritant n’est pas toujours là où on l’imagine.
- Privilégier des feedbacks rapides et actionnables plutôt que des études longues et formelles. Une amélioration doit se traduire en semaines, pas en mois.
Appliquer le framework F.O.C.U.S.E.D pour structurer la refonte
Une refonte mal cadrée finit toujours par dériver : objectifs flous, priorités changeantes, backlog interminable. Le framework F.O.C.U.S.E.D, utilisé chez PayPal et BlaBlaCar, permet de structurer le projet et de s’assurer que chaque décision est prise sur des bases solides.
Frame : Définir l’ambition de la refonte
On en a parlé dans notre article sur la définition des objectifs logiciels : une refonte ne se justifie que si elle répond à un problème clair - dette technique bloquante, UX obsolète, nouvelle réglementation... Sans objectif précis, on disperse les efforts.
- Fixez des objectifs business et techniques : Ex. Réduire de 30 % le temps de traitement des demandes clients.
- Anticipez les contraintes : interopérabilité, sécurité, coûts, scalabilité.
Observe : Identifier les usages et les blocages
Ne partez pas d’une intuition, partez des données terrain pour analyser le travail de vos équipes. Le vrai problème n’est pas toujours celui qu’on imagine.
- Analysez les irritants utilisateurs et IT : quels sont les freins au quotidien ?
- Suivez des KPIs de performance : comment mesurer l’impact d’une refonte ?
- Identifiez les opportunités technologiques : cloud, API, microservices : quels leviers pour gagner en flexibilité ?
Claim : Définir le positionnement du futur logiciel
Refondre ou faire évoluer ? Inutile de tout démolir si certaines briques tiennent la route.
- Faites les bons choix d’architecture. Monolithe vs. microservices : anticipez la scalabilité.
- Pensez évolutivité : un logiciel efficace doit pouvoir s’adapter sans refonte lourde tous les 5 ans.
Unfold : Identifier les moments critiques
Quels sont les workflows qui doivent impérativement être optimisés ?
- Ciblez les processus à fort impact : validation des commandes, gestion des factures, reporting.
- Accompagnez le changement : un logiciel qui bouscule trop brutalement les habitudes sera rejeté.
Steal : S’inspirer de ce qui fonctionne ailleurs
Pourquoi repartir de zéro quand on peut capitaliser sur l’expérience des autres ?
- Analysez les best practices du marché : benchmarking de solutions concurrentes.
- Apprenez de votre historique interne : quelles erreurs ou réussites des précédentes refontes ?
Execute : Construire rapidement un prototype
Une refonte ne doit pas rester théorique. Testez vite, ajustez en continu.
- Utilisez des wireframes exploratoires : vérifiez l’UX avant d’écrire une ligne de code.
- Faites un Proof of Concept (POC) : identifiez les risques techniques sur les briques critiques.
- Développez un MVP : livrez une première version testable et ajustable.
Decide : Prioriser et arbitrer pour avancer
Un projet qui n’arbitre pas ses priorités dérive et s’éternise.
- Alignez DSI et métiers : impact métier vs. faisabilité technique.
- Planifiez un déploiement progressif : limitez les risques et ajustez en fonction des retours terrain.
Définir le périmètre de la refonte logicielle
Une refonte ne peut pas tout traiter d’un coup. Vouloir livrer un logiciel "complet" dès le départ, c’est prendre le risque de s’enliser dans un projet interminable. Ce qui compte, c’est de livrer vite, d’ajuster en continu et d’éviter l’effet tunnel.
L’approche MVP permet d’avancer par étapes, de sécuriser les choix et d’impliquer les utilisateurs au bon moment. Objectif : livrer une première version exploitable rapidement, tout en gardant la flexibilité pour affiner et enrichir au fil de l’eau.
Construire une roadmap MVP pour sécuriser la refonte
Plutôt que de viser un déploiement massif et figé, le MVP permet d’itérer en conditions réelles. L’idée n’est pas de livrer un outil incomplet, mais une version ciblée et actionnable dès les premières phases.
Trois bénéfices majeurs :
- Réduire le time-to-market en sortant une première version testable rapidement.
- Collecter des feedbacks terrain avant d’investir massivement sur des fonctionnalités inutiles.
- Limiter les risques en validant l’adoption et la compatibilité technique étape par étape.
Approche MVP appliquée à une refonte
Une refonte en mode MVP repose sur trois phases structurées, avec une progression logique et mesurable.
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Phase 1 : Auditez et cadrez votre refonte logiciel
Sans ce cadrage initial, vous risquez de reconstruire un produit avec les mêmes problèmes que l’ancien. Prenez le temps de sécuriser votre périmètre :
- Faites l’état des lieux : identifiez les points forts, les faiblesses et la dette technique du logiciel actuel.
- Ciblez les fonctionnalités essentielles : quelles briques doivent être refondues en priorité ?
- Cartographiez les dépendances : SI existant, outils tiers, intégrations critiques.
Phase 2 : Développez et testez en conditions réelles
Un MVP qui ne sert qu’à tester en interne n’est pas un vrai MVP. Il doit permettre aux équipes métier d’expérimenter et de s’approprier l’outil.
- Déployez-le sur un périmètre restreint : Ex. un département pilote pour capter des retours immédiats.
- Collectez du feedback en continu : repérez les irritants, ajustez rapidement.
- Montrez des résultats concrets : un MVP doit être actionnable et apporter de la valeur dès la première version.
Phase 3 : Déployez progressivement et optimisez
Au lieu d’un lancement brutal, montez en charge par étapes pour éviter un rejet du terrain.
- Élargissez progressivement l’adoption : déploiement contrôlé sur d’autres départements ou filiales.
- Accompagnez les équipes : formation et montée en compétence des utilisateurs.
- Ajustez en fonction des usages réels : un bon MVP est une base évolutive, pas une version figée.
Prototyper avec des wireframes exploratoires
Aller directement au développement sans prototypage, c’est naviguer à l’aveugle. Avant de coder quoi que ce soit, il faut visualiser et tester les parcours utilisateurs pour éviter de devoir tout revoir en cours de route.
Les wireframes exploratoires permettent de :
- Valider l’ergonomie et le fonctionnement des flux clés sans toucher au code.
- Repérer les frictions UX avant qu’elles ne bloquent l’adoption.
- Obtenir des retours concrets des utilisateurs avant d’industrialiser les choix.
Mieux vaut ajuster un prototype en quelques jours que modifier un développement après plusieurs moi
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Valider les priorités avec la DSI et les métiers
Un périmètre bien défini ne peut pas être figé sans arbitrage DSI / métiers.
Chaque décision doit répondre à trois questions :
- L’impact métier est-il réel ? Est-ce une nécessité ou un simple "nice to have" ?
- La faisabilité technique est-elle validée ? Une fonctionnalité peut être essentielle, mais si son intégration bloque l’ensemble du SI, elle doit être repensée.
- Quelles sont les dépendances ? Certains modules ne peuvent être refondus sans adapter l’ensemble du système.
Pour structurer cette validation :
- Ateliers de co-construction pour aligner les attentes métiers et les réalités techniques.
- Cartographie des dépendances pour éviter les effets de blocage en cascade.
- Arbitrage clair sur ce qui doit être réécrit, migré ou conservé.
Sans priorisation claire, on dérive vers une roadmap irréaliste et un projet impossible à livrer.
Construire une roadmap initiale alignée avec la DSI
Une refonte réussie ne repose pas uniquement sur une vision métier. Elle doit s’ancrer dans la réalité technique pour éviter les impasses. Une roadmap efficace équilibre donc les priorités stratégiques et les contraintes de développement, tout en assurant une exécution progressive.
L’objectif ? Avancer vite sur l’essentiel, sans compromettre la stabilité du produit.
Structurer la roadmap : une approche en trois temps
Une roadmap figée est une roadmap morte. Les besoins évoluent, les contraintes techniques apparaissent en cours de route, et certaines fonctionnalités jugées critiques peuvent finalement s’avérer secondaires.
Plutôt que de tout verrouiller dès le départ, l’approche Now / Next / Later permet de structurer la roadmap de manière dynamique :
- Now : ce qui est déjà en cours : cadrage technique, POC, tests UX.
- Next : ce qui sera développé à court terme : fonctionnalités validées, intégration métier.
- Later : ce qui viendra ensuite : évolutions futures, automatisation avancée, IA.
Pourquoi cette approche fonctionne ? Parce qu’elle évite de s’enfermer dans un plan rigide et permet d’ajuster les priorités en fonction des apprentissages terrain.
Prioriser les initiatives : arbitrer entre impact et faisabilité
Toutes les fonctionnalités ne se valent pas. Certaines sont critiques dès le départ, d’autres peuvent attendre. L’enjeu est d’éviter un backlog surchargé qui freine l’avancement du projet.
Deux méthodes permettent d’arbitrer efficacement :
La méthode MoSCoW
- Must Have : fonctionnalités indispensables pour le lancement.
- Should Have : importantes mais non bloquantes si elles arrivent plus tard.
- Could Have : options secondaires, à intégrer si possible.
- Won’t Have : hors périmètre, à exclure de la roadmap.
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La matrice Effort / Impact
Un bon arbitrage ne se fait pas uniquement sur la valeur métier : il faut aussi prendre en compte la faisabilité technique.
- Fort impact, faible effort : priorité absolue, effet rapide sans complexité excessive.
- Fort impact, fort effort : à cadrer avec la DSI pour anticiper les risques.
- Faible impact, faible effort : à traiter en opportunité, sans mobiliser trop de ressources.
- Faible impact, fort effort : à écarter, sauf obligation stratégique.
L’enjeu est clair : investir là où l’impact est maximal, tout en sécurisant l’exécution.
Co-construction et communication de la roadmap
Une roadmap qui dort dans un fichier Notion n’a aucun intérêt. Elle doit être un outil opérationnel, mis à jour en continu, partagé et compris par toutes les parties prenantes. L’objectif : garantir l’alignement entre la DSI, les métiers et les équipes produit, tout en restant adaptable aux réalités du terrain.
Des rituels pour piloter et ajuster la roadmap
Une roadmap efficace se construit dans la durée, avec des ajustements réguliers basés sur les retours des utilisateurs et l’avancement technique.
Pour éviter l’effet tunnel et les mauvaises surprises, plusieurs instances de suivi sont essentielles :
- Comités de pilotage (DSI, métiers, sponsors) : arbitrage des priorités et validation des évolutions clés.
- Synchronisation trimestrielle : ajustement de la roadmap en fonction des retours terrain et des contraintes techniques.
- Checkpoints courts et réguliers : points opérationnels avec les équipes produit pour garder une dynamique agile.
L’objectif n’est pas juste de suivre l’avancement, mais de s’assurer que la roadmap reste pertinente et actionnable.
Des outils de suivi pour une exécution fluide
Une roadmap ne doit pas reposer sur des fichiers Excel statiques. Pour assurer un suivi efficace et une collaboration fluide, les bons outils font la différence :
- Notion / Confluence : documentation centralisée, décisions et suivi des orientations stratégiques.
- Miro / FigJam : prototypage et ateliers collaboratifs pour structurer et affiner les parcours UX/UI.
- Linear / Jira : pilotage opérationnel des développements et suivi des sprints.
Un bon outil ne remplace pas une bonne gouvernance, mais il fluidifie la prise de décision et le suivi.
"Une roadmap, ça ne doit pas juste être un document figé dans un coin. Si personne ne la comprend ou ne l’utilise, elle ne sert à rien. Il faut la partager, l’expliquer et la piloter avec des données concrètes. On ne peut pas se fier aux intuitions : seuls les KPIs et les retours terrain permettent d’ajuster efficacement. Et surtout, une refonte ne se décrète pas, elle se prépare. Plus on implique les équipes métier tôt, moins on se retrouve avec des blocages en bout de course."
— Arthur, Product Manager
Évitez l’effet tunnel : pilotez votre refonte avec méthode
Une refonte bien menée, c’est un équilibre entre vision métier, faisabilité technique et adoption utilisateur. Sans cadrage précis, les priorités dérivent, les décisions s’empilent et le projet devient ingérable.
Les fondamentaux pour sécuriser la refonte :
- Structurer le projet avec le framework F.O.C.U.S.E.D : cadrer chaque décision pour éviter les dérives fonctionnelles.
- Travailler en mode MVP : livrer rapidement une première version actionnable et éviter l’effet tunnel.
- Établir une roadmap évolutive : adapter le périmètre en fonction des contraintes techniques et des retours terrain.
- Co-construire avec les parties prenantes : aligner la DSI et les métiers pour garantir un produit adopté et maintenable.
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