Où ça a raté ? Dès le départ. Parce qu’un logiciel métier n’est pas un projet isolé. Il impacte toute une organisation et doit s’intégrer aux réalités du terrain. Ne pas impliquer les bonnes parties prenantes dès le départ, c’est foncer droit dans le mur.
On vous montre comment identifier, cartographier et engager les acteurs clés pour éviter ce scénario et garantir que votre logiciel ne soit pas un investissement perdu.
1 - Définir et cartographier les parties prenantes
Prenons un cas typique. Un groupe industriel décide de refondre son logiciel de gestion des interventions terrain. Pressé d’avancer, le comité de direction lance le projet avec les équipes métier et un prestataire externe… sans impliquer réellement la DSI.
Après des mois de développement, le logiciel est livré, mais impossible de l’intégrer aux outils existants. Sécurité non validée, architecture incompatible, coûts de maintenance explosifs. La DSI, mise devant le fait accompli, refuse la mise en production. Retour à la case départ.
L’erreur fatale ? Croire qu’un logiciel peut être conçu dans un silo. Un projet qui ignore ses parties prenantes est un projet condamné.
Commençons par identifier qui influence, qui décide et qui utilise.
Qui sont les parties prenantes ?
Elles se décomposent en deux grandes familles :
- Les stakeholders internes (au sein de l’entreprise) ;
- Les stakeholders externes (utilisateurs finaux, partenaires, régulateurs, etc.).
Les premiers conçoivent et déploient, les seconds conditionnent l’adoption et l’impact. Négliger un seul de ces groupes, c’est prendre le risque d’un projet bancal, inadapté ou rejeté.
Stakeholders internes : ceux qui conçoivent, décident et opèrent
Les Sponsors (Direction Générale, DSI, Responsables métiers)
Ce sont les premières figures incontournables du projet. Ils donnent l’impulsion stratégique et définissent les priorités business. Sans leur adhésion, le projet risque de manquer de ressources ou de cap clair.
Les Métiers (RH, Finance, Logistique, Production…)
Ils sont en première ligne. Ce sont eux qui utilisent le logiciel au quotidien et qui définissent ses exigences fonctionnelles. Les exclure, c’est prendre le risque de concevoir un outil hors-sol, vite contourné ou abandonné.
La DSI (Architectes, Experts IT, Sécurité…)
Pilier technique du projet, elle garantit l’intégration du logiciel dans l’écosystème existant, la sécurité et la scalabilité. Sans elle, on se retrouve avec une solution impossible à maintenir, coûteuse à adapter et parfois même inutilisable.
Le Product Owner / Chef de Projet IT
Le chef d’orchestre du projet. Il fait le lien entre les besoins métiers et la faisabilité technique, priorise, arbitre et assure que l’outil livré est opérationnel. Sans lui, le projet se transforme en une suite de décisions incohérentes et d’attentes mal alignées.
L’Équipe Support et Assistance
Les grands oubliés des projets… jusqu’au moment où les utilisateurs rencontrent un problème. Ils assurent la formation, le support et la gestion des incidents. Si leur rôle est négligé, l’adoption s’effondre et l’outil devient une contrainte plutôt qu’un levier de performance.
Stakeholders externes : ceux qui interagissent avec le logiciel
Les Utilisateurs Finaux Internes
Ce sont eux qui utilisent le logiciel au quotidien et testent son efficacité réelle. Si leur expérience est négligée, l’adhésion s’effondre. Un outil mal conçu sera rapidement contourné au profit de solutions parallèles non maîtrisées (shadow IT).
Les Clients et Partenaires Externes
Lorsque le logiciel sert d’interface avec des acteurs externes, chaque friction impacte directement la relation commerciale. Un mauvais design, une ergonomie bancale, ou des process inadaptés peuvent générer des ralentissements et de la frustration.
Les Régulateurs et Services Juridiques
RGPD, conformité comptable, normes sectorielles… Ignorer ces exigences en amont, c’est s’exposer à des retards, des surcoûts et des risques juridiques. Un logiciel qui ne respecte pas les réglementations peut être bloqué avant même son déploiement.
Les Éditeurs de Logiciels Tiers et Partenaires API
Un logiciel métier doit s’intégrer avec d’autres outils (ERP, CRM, BI…). Une interopérabilité ratée, et c’est l’expérience utilisateur qui trinque : doublons de saisie, données incomplètes, workflows cassés. Un bon projet ne se limite pas à son périmètre interne, il prend en compte tout son écosystème technique.
Hiérarchiser avec la Power-Interest Grid
Identifier les parties prenantes ne suffit pas. Encore faut-il les hiérarchiser pour déterminer leur degré d’influence et leur niveau d’implication dans le projet. L’outil de référence pour cela ? La Power-Interest Grid, un modèle issu des travaux d’Ackermann & Eden.
Ce framework classe les parties prenantes selon deux critères :
- Le pouvoir : leur capacité à influencer le projet (décision, financement, arbitrage).
- L’intérêt : leur niveau d’implication et d’impact direct sur l’usage du logiciel.
En croisant ces dimensions, on obtient quatre catégories d’acteurs :
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Visualiser ces dynamiques permet d’adopter la bonne stratégie d’engagement pour chaque acteur. Voici comment positionner vos parties prenantes avec la Power-Interest Grid :
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De la théorie à l’action : exploiter la Power-Interest Grid
La Power-Interest Grid n’est pas qu’un exercice théorique, c’est un outil stratégique qui doit orienter chaque interaction. Voici comment en tirer un maximum de valeur :
A- Priorisez les engagements
Les Players doivent être impliqués dès la conception - pas en spectateurs, mais en décideurs actifs. Organisez des comités de pilotage, mettez en place des points d’alignement réguliers et captez leurs arbitrages en continu.
Les Subjects sont les premiers impactés par l’outil : intégrez-les aux tests et aux validations pour garantir une adoption fluide.
B- Adaptez la communication
Tous les acteurs n’ont pas besoin du même niveau d’information.
Les Context Setters ne veulent pas de détails techniques, mais des insights synthétiques qui leur permettent de valider sans perdre de temps. Pensez dashboards, reports concis et messages ciblés.
À l’inverse, les Subjects doivent être activement impliqués dans les feedback loops pour assurer que le produit répond à leurs attentes.
C- Anticipez et gérez les résistances
Les Crowd sont souvent laissés de côté… jusqu’à ce qu’un fournisseur ou un sous-traitant freine le projet en cours de route. Mieux vaut assurer un minimum d’information et de transparence en amont plutôt que gérer des blocages tardifs. Un simple briefing périodique suffit à éviter des objections inutiles.
D- Évoluez avec l’outil interne
Une Power-Interest Grid statique ne sert à rien. Les enjeux, les priorités et les influenceurs évoluent au fil du projet. Planifiez des revues trimestrielles pour ajuster votre cartographie et affiner les stratégies d’engagement. Identifiez les nouveaux acteurs clés et adaptez votre approche en conséquence.
2 - Identifier les besoins utilisateurs : croiser le quanti et le quali
Se baser uniquement sur des chiffres donne une vision incomplète. À l’inverse, s’appuyer uniquement sur des retours qualitatifs sans données mesurables peut fausser les décisions. Pour concevoir un logiciel aligné sur les attentes réelles, il faut croiser observation et analyse chiffrée.
- Les données quantitatives révèlent les usages concrets : quelles fonctionnalités sont utilisées, à quelle fréquence, où les utilisateurs rencontrent des blocages.
- Les données qualitatives apportent du contexte : pourquoi certaines actions sont privilégiées, quelles frustrations émergent, quels besoins ne sont pas couverts.
L’un ne va pas sans l’autre. Une fonctionnalité peu utilisée ne signifie pas qu’elle est inutile : elle peut être mal implémentée, difficile d’accès ou mal comprise.
Méthodes pour collecter les besoins utilisateurs
Approche quantitative : mesurer l’usage réel
L’objectif est d’analyser les comportements des utilisateurs sans interprétation subjective.
- Analyse des logs d’utilisation → Identifier les fonctionnalités les plus et les moins utilisées.
- Détection des points de friction → Repérer les erreurs fréquentes, ralentissements et abandons d’action.
- Suivi des temps de traitement → Mesurer les gains de productivité attendus sur certaines tâches.
Ces données permettent d’objectiver les améliorations à prioriser et d’éviter les décisions guidées uniquement par des intuitions internes.
Approche qualitative : comprendre les attentes et frustrations
Les chiffres ne suffisent pas : il faut aller sur le terrain pour saisir la réalité des usages.
- Interviews utilisateurs → Recueillir leurs frustrations et attentes en direct.
- Observation terrain (shadowing) → Voir concrètement comment ils interagissent avec le logiciel.
- Ateliers de co-construction → Construire ensemble les workflows et valider les hypothèses d’amélioration.
Ces méthodes permettent d’anticiper les besoins cachés, ceux qui n’apparaissent pas dans les logs mais qui ont un impact direct sur l’expérience.
Formaliser les apprentissages : personas et empathy map
Personas : donner un visage aux utilisateurs
Un persona synthétise les attentes et comportements des différents types d’utilisateurs.
- Persona primaire → Ceux qui utilisent le logiciel quotidiennement.
- Persona secondaire → Managers, profils occasionnels avec des besoins spécifiques.
- Anti-persona → Ceux qui ne sont pas la cible et pour qui l’outil ne doit pas être optimisé.
Un bon persona ne se limite pas à un avatar marketing : il repose sur des insights concrets issus des observations terrain et de la data.
Empathy Map : aller plus loin dans la compréhension des usages
L’Empathy Map est un outil qui permet de cartographier ce que ressentent, voient, entendent et disent les utilisateurs dans leur quotidien professionnel.
- Ce qu’ils pensent et ressentent → Leurs motivations, frustrations et préoccupations.
- Ce qu’ils disent et font → Leur manière d’interagir avec l’outil, leurs habitudes et contraintes.
- Ce qu’ils voient → L’environnement dans lequel ils évoluent, les outils qu’ils utilisent au quotidien.
- Ce qu’ils entendent → Les influences externes qui impactent leur perception du logiciel.
Pourquoi l’utiliser ? Pour éviter de concevoir un logiciel déconnecté des réalités terrain et s’assurer que chaque fonctionnalité répond à un besoin concret.
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3 - Adopter une démarche de discovery continue
Pourquoi une seule étude utilisateur ne suffit pas ?
Les besoins des utilisateurs ne sont pas figés. Un logiciel métier évolue avec son environnement : nouvelles contraintes, usages qui se transforment, attentes qui se précisent.
Se baser sur une recherche initiale et considérer le sujet clos, c’est prendre le risque de se déconnecter rapidement du terrain.
L’erreur classique ? Concevoir un produit en fonction d’un besoin à un instant T… et découvrir six mois plus tard qu’il ne répond déjà plus aux attentes réelles.
Comment mettre en place un cycle d’apprentissage permanent ?
L’enjeu est d’organiser un flux régulier de retours utilisateurs pour ajuster en continu. Trois leviers à activer :
1- Le feedback passif : capter les signaux faibles
Certaines données remontent naturellement sans nécessiter d’effort de collecte. Encore faut-il les écouter. Problèmes récurrents, frustrations émergentes, usages inattendus… tout est là, à condition de ne pas laisser ces données dormir :
- Formulaires intégrés dans l’application pour capturer les retours à chaud.
- Analyse des avis et tickets support → Repérez les récurrences et tendances négatives.
- Données analytics → Identifiez les zones de friction et comportements inattendus.
2- Le feedback actif : aller chercher l’info directement
Les chiffres ne disent pas tout. Un produit peut afficher un bon taux d’adoption tout en générant des frictions énormes sur le terrain. Pour éviter les angles morts, rien ne remplace l’échange direct avec les utilisateurs :
- Des entretiens réguliers pour identifier ce qui fonctionne et ce qui bloque.
- L’observation terrain (shadowing) révèle comment l’outil est réellement utilisé au quotidien.
- Les tests de nouvelles fonctionnalités valident leur adoption avant un déploiement à grande échelle.
3- L’intégration du feedback dans la roadmap produit
Collecter du feedback, c’est bien. L’exploiter intelligemment, c’est mieux. Une discovery efficace ne se contente pas d’accumuler des insights, elle doit alimenter directement la roadmap produit. Pour ça :
- Priorisez les feedbacks à fort impact pour éviter de vous disperser.
- Itérez rapidement, avec des cycles courts d’expérimentation pour tester, mesurer et ajuster en continu.
- Partagez les apprentissages pour aligner les équipes tech et métier sur les enseignements du terrain.
Le succès ne se décrète pas, il se construit
Un logiciel métier qui n’intègre ni méthodologie claire ni prise en compte des usages réels, c’est un logiciel qui finit contourné, sous-exploité, voire rejeté. Pour éviter ça :
- Cartographiez les parties prenantes avec la Power-Interest Grid pour impliquer les bons acteurs au bon moment.
- Analysez les besoins utilisateurs en combinant données quantitatives (logs, analytics) et données qualitatives (entretiens, shadowing).
- Formalisez ces apprentissages avec des outils comme les personas et l’Empathy Map pour garder un cap clair sur les attentes des utilisateurs.
- Adoptez une discovery continue pour ajuster le produit en permanence et éviter qu’il ne devienne obsolète face aux évolutions du marché.
Vous voulez structurer votre approche produit et éviter les erreurs classiques ? Nous vous aidons à mettre en place une démarche orientée utilisateur, itérative et fondée sur des insights actionnables. Discutons-en.