La dette technique, ce n’est pas du “code sale”. C’est un vrai sujet produit. Et quand elle explose, ce n’est pas juste la stack qui prend. C’est toute la roadmap.
Livraisons qui ralentissent. Bugs qui reviennent. Fonctionnalités simples qui deviennent complexes à intégrer. Ce n’est pas qu’un problème technique. C’est un problème de coût, de vélocité, de scalabilité. Et pourtant : dans 80 % des projets qu’on reprend chez Yield, elle est absente des arbitrages.
Pas identifiée. Pas suivie. Pas pilotée.
Vous êtes en train de lancer un nouveau logiciel métier, de reprendre un existant ou de faire évoluer une base vieillissante ? Alors la dette, vous allez y passer. Autant l’anticiper plutôt que la subir.
On vous donne ici une méthode concrète pour l’auditer, la prioriser, et surtout la traiter sans plomber l’innovation. C’est ce qu’on met en place chez nos clients pour livrer plus vite, sans sacrifier la qualité. On vous montre comment faire.

Étape 1 : Diagnostiquer la dette technique (avant qu’elle ne vous freine)
La dette technique, tout le monde pense savoir ce que c’est — jusqu’à ce qu’elle devienne ingérable.
En théorie, c’est simple : du code qu’on sait bancal, qu’on livre pour aller vite, en se disant qu’on "reviendra dessus plus tard". Sauf qu’on ne revient jamais dessus. Et que ce "plus tard" finit par coûter cher.
En pratique, la dette technique est rarement visible tout de suite. C’est quand on commence à sentir des frictions, des lenteurs, des bugs récurrents ou des évolutions qui prennent trois fois plus de temps qu’avant… qu’on se rend compte qu’elle est bien là. Et bien ancrée.
Comment elle se manifeste, concrètement
La dette technique ne s’affiche pas dans un dashboard. Elle se ressent dans le quotidien des équipes, sous forme de ralentissements, de patchs à répétition ou de friction produit. Voilà à quoi elle ressemble quand elle s’installe :
- Temps de dev qui explose : une feature simple devient un chantier de 4 semaines parce qu’elle touche un module spaghetti.
- Empilement de correctifs : on patch, on repatch, et on déclenche de nouveaux bugs ailleurs.
- Instabilité en production : les incidents se multiplient, l’équipe support sature.
- Expérience utilisateur qui se dégrade : lenteurs, incohérences, comportements imprévisibles.
- Roadmap produit ralentie : chaque nouvelle évolution est freinée par des dépendances opaques.
Ce n’est pas juste du mauvais code. C’est l’absence de documentation. Une architecture jamais revue. Des décisions court-termistes empilées depuis des mois. Et ça finit toujours par exploser au moment où il faut accélérer.
Trois contextes, trois manières d’aborder le diagnostic
1. Vous lancez un premier logiciel métier
La dette n’existe pas encore, mais elle peut arriver très vite. Ce n’est pas parce que le produit est neuf qu’il est clean.
Dans ce cas, l’enjeu est d’anticiper les zones à risque dès le début :
- Quelles parties du produit sont critiques ?
- Où risque-t-on d’empiler de la logique métier spécifique ?
- A-t-on cadré l’architecture pour absorber l’évolution future ?
Ce qu’on voit souvent : un MVP monté vite, sans documentation, sans tests, sans refacto. Deux mois plus tard, le produit est déjà figé.
💡Pour poser les bonnes fondations dès le départ, suivez notre méthode pour cadrer un logiciel métier et construire une roadmap claire.
2. Vous refondez un outil existant
Ici, vous héritez d’une dette accumulée. Et vous devez d’abord comprendre à quoi vous avez affaire.
Les questions à vous poser :
- Quelles zones du code ne sont plus touchées depuis des années ?
- Où se cache la logique métier clé ? (indice : souvent dans des fichiers nommés “utils.js”)
- Quels modules font peur aux devs ?
- Est-ce qu’on a encore les specs initiales ? La documentation ? (spoiler : non)
3. Vous êtes en amélioration continue
Votre produit tourne, vous livrez régulièrement… mais le rythme ralentit. Ce n’est pas un bug, c’est la dette qui freine. Et si vous ne la mesurez pas, elle va continuer à s’accumuler.
Voilà ce qui devrait vous alerter :
- La livraison d’une nouvelle feature prend 2x plus de temps qu’il y a 6 mois.
- Les mêmes bugs reviennent.
- Chaque dev touche des zones qu’il ne comprend pas totalement.
- La base de code devient trop risquée à modifier.
Ici, l’enjeu est de quantifier la dette existante pour savoir où agir. On ne va pas tout réécrire, mais il faut savoir quoi prioriser.
Étape 2 : Organiser un backlog technique clair (et vraiment utile)
Identifier la dette, c’est une chose. La piloter, c’en est une autre. Et pour ça, il ne suffit pas de lister quelques “tech tasks” en marge du backlog produit. Il faut lui donner un vrai espace — structuré, priorisé, actionnable.
C’est ce qu’on appelle le backlog technique. Mal géré, il devient un parking à dettes qu’on ne regarde jamais. Bien géré, c’est un outil clé pour reprendre la main sur la qualité du code sans ralentir l’innovation.
Un backlog technique, ce n’est pas une todo vague
Chaque élément doit répondre à une logique claire. Pour être actionnable, il doit contenir :
- Le problème identifié (ex. : dépendance obsolète, architecture figée, dette front mal maîtrisée) ;
- Son impact réel : sur la stabilité, la maintenabilité, ou la capacité à livrer ;
- Sa cause : choix technique daté, manque de temps, hack temporaire… ;
- L’effort estimé : une heure ? deux jours ? une semaine ? ;
- Une priorité : en fonction de l’urgence, mais surtout du coût de l’inaction ;
- Une deadline cible, même indicative.
Objectif : que cette dette soit compréhensible par toute l’équipe — pas juste par les développeurs.
Une structure simple pour garder la main
Chez Yield, on recommande de classer les dettes techniques en trois catégories :
- Dettes critiques
Celles qui bloquent le delivery ou mettent en risque la production. - Dettes freinantes
Celles qui ralentissent les évolutions ou augmentent la complexité du dev. - Dettes tolérables
Celles que l’on peut assumer temporairement, mais à challenger régulièrement.
Ce classement doit vivre. Ce qui est tolérable aujourd’hui peut devenir bloquant demain — surtout quand le produit accélère.
Intégrer le refacto, sans créer de dette process
L’erreur classique : programmer un sprint entier “dédié au refactoring”. Résultat ? L’équipe passe en mode rattrapage. Et l’impression qu’on “paie le prix” d’un mauvais cadrage antérieur.
À la place, il faut intégrer le refacto dans le flux. Chaque modification est l’occasion d’améliorer — même légèrement — ce qu’on touche.
C’est la Boy Scout Rule : “Leave the code cleaner than you found it.” Pas besoin de tout réécrire. Mais si vous renommez une variable obscure, découpez une fonction trop longue ou supprimez une dépendance inutile, c’est déjà une victoire.
💡 Pour aller plus loin sur le sujet, découvrez nos bonnes pratiques de développement pour garder un code base robuste et évolutif.
Quelques pratiques qui changent tout
Pour que ce backlog devienne un vrai outil de pilotage — et pas juste une liste de tâches techniques planquées — voici quelques pratiques simples à ancrer dans votre routine d’équipe :
- Inclure des tâches techniques dans chaque sprint, pas juste quand “on a le temps”.
- Revoir le backlog technique à intervalle fixe, comme n’importe quel backlog produit.
- Travailler à deux sur les dettes critiques, pour éviter les effets tunnel ou les décisions unilatérales.
- Rendre visible la dette : dans le board, dans les comités, dans les démos. Ce qu’on ne montre pas, on ne le traite jamais.
Étape 3 : Équilibrer dette technique et innovation produit
« On corrigera plus tard. » C’est comme ça qu’on accumule des mois de retard en croyant gagner quelques jours.
La dette technique n’est pas l’ennemie de la roadmap. C’est ce qui permet de la tenir dans le temps.
Mais elle ne doit ni tout bloquer, ni tout envahir. Elle doit être pilotée comme un investissement : dosée, priorisée, mesurée. Pas au ressenti, pas à l’intuition.
Définir un budget technique par sprint
20 à 30 % de bande passante tech dédiée à la dette, c’est un repère courant. Mais ce n’est qu’un point de départ.
Le bon budget, c’est celui qui vous permet de continuer à livrer vite sans faire exploser les coûts de maintenance.
Voici une méthode simple pour le fixer :
- Listez les tâches freinées par des problèmes techniques sur les deux derniers sprints.
- Estimez le temps passé à les contourner, patcher, sécuriser.
- Convertissez cette perte en % de vélocité globale. Vous avez votre point de départ.
Exemple : sur un sprint de 40 points, 12 sont passés à résoudre des irritants techniques. Soit 30 %. Vous n’avez pas besoin d’un audit pour savoir que la dette freine.
Prioriser intelligemment
Vous ne pouvez pas tout traiter. Mais vous devez savoir pourquoi vous choisissez de traiter une dette… ou pas.
Pour ça, on vous recommande une méthode simple : croisez l’impact d’une dette (sur la stabilité, la vélocité, la scalabilité) avec son urgence perçue. Est-ce qu’on la subit déjà ? Est-ce qu’elle bloque une feature ? Ou est-ce qu’on peut encore l’assumer ?

Ce cadrage ne remplace pas une vraie discussion produit. Mais il donne une base claire pour arbitrer, éviter l’effet tunnel, et protéger la roadmap.
Et si ce n’est pas priorisé tout de suite ?
Ajoutez une date de revue au backlog tech. Rien de pire qu’une dette "parquée" sans échéance. Le backlog n’est pas une poubelle.
Suivre les bons signaux
Trois indicateurs suffisent pour ne pas perdre le fil :
- Temps moyen pour livrer une feature standard
Un délai qui double en 6 mois = signal de blocage. - Nombre d’incidents ou régressions en production
Si ça remonte de plus en plus, la base devient instable. - Vélocité vs taille d’équipe
Vous êtes plus nombreux mais livrez moins ? Ce n’est pas un problème de capacité, c’est un problème d’infrastructure.
Ces données n’ont d’impact que si elles sont visibles. Affichez-les en comité produit. Pas pour dramatiser, mais pour décider.
Étape 4 : Limiter l’accumulation future
Corriger la dette existante, c’est bien. Mais éviter qu’elle ne revienne à chaque sprint, c’est mieux.
Un bon backlog technique ne suffit pas. Si chaque feature livrée crée une nouvelle dette, vous courrez en permanence après le problème. Le vrai levier, c’est en amont : dans la manière dont vous développez, collaborez, validez.
Voici les pratiques à mettre en place pour que la dette ne devienne pas structurelle.
Ancrer une culture produit + tech orientée qualité
Pas besoin d’avoir 150 règles. Mais il en faut 3 qui tiennent la route :
- Revues de code systématiques
Pas juste un check de syntaxe en fin de journée. Une vraie passe à deux pour valider structure, lisibilité, évolutivité. Ça prend 20 minutes. Et ça évite 2 semaines de galère plus tard. - Pair programming quand ça compte
Pas besoin d’en faire tout le temps. Mais sur une feature complexe ou un module sensible, c’est une assurance. Deux cerveaux = moins d’erreurs, plus de recul. - Une Definition of Done (DoD) claire
On ne valide pas une tâche "parce qu’elle marche". On la valide si elle est testée, compréhensible par quelqu’un d’autre, intégrée sans dette. Et si possible, documentée.
Le but : éviter les livraisons “ça marche chez moi” qui pètent dès que quelqu’un d’autre y touche.
Automatiser ce qui peut l’être
Pour limiter la dette dès la phase de dev, il faut automatiser tout ce qui peut l’être. Pas pour faire plaisir à l’engineering manager — mais pour libérer du temps pour ce qui compte vraiment : livrer de la valeur. Voici les trois piliers à activer :
- Tests automatisés
Unitaires, fonctionnels, intégration… à adapter selon la stack.
Mais un produit sans tests, c’est une dette en puissance. On ne scale pas à l’aveugle. - Linting et analyse statique
Pas glam, mais ultra utile. Ça capte les problèmes avant même le commit.
Un bon linter + un outil comme Sonar ou ESLint bien paramétré = des erreurs évitées sans lever les yeux de l’IDE. - CI avec qualité bloquante
Une PR qui ne passe pas les règles de qualité ne part pas en prod.
C’est frustrant au début. Puis c’est naturel. Et ultra rassurant.
Faire le ménage dans les features inutiles
Un bon produit, ce n’est pas celui qui fait tout. C’est celui qui fait juste ce qu’il faut — et parfaitement.
Chaque feature non utilisée, c’est :
- du code en plus à maintenir,
- des cas de test à prévoir,
- des bugs potentiels qui traînent.
Demandez-vous : qui utilise vraiment cette fonctionnalité ? Si personne ne la touche depuis 6 mois, vous n’avez pas besoin de la réécrire. Vous pouvez la couper.
💡 Avant de supprimer une feature, vérifiez qu’elle ne sert pas en silence : voici comment suivre l’adoption réelle et ajuster votre produit.
Cas pratique — Une dette technique bien réelle, mais invisible dans le BTP
Un acteur des travaux publics nous sollicite. Son outil métier gère plus de 80 chantiers actifs en simultané. Il centralise les comptes-rendus de terrain, les demandes de matériel, les validations de conformité, les photos horodatées, les incidents techniques.
Développé il y a trois ans, il a été enrichi sprint après sprint. Sans refacto. Sans documentation. Sans tests. Résultat : une base de code devenue rigide.
Chaque nouvelle feature déclenche des régressions. Une demande simple — “Ajouter une pièce jointe depuis mobile dans un CR de chantier” — mobilise deux devs pendant 3 semaines.
Pourquoi ?
- La logique de traitement des pièces jointes est dupliquée dans 4 modules différents.
- Les formats sont mal normalisés (PDF, JPEG, WebP mélangés).
- L’upload se fait via un script custom, sans fallback, uniquement côté desktop.
Et personne ne sait exactement ce que ça va casser en bougeant une ligne.
Où ça casse vraiment
On démarre par un audit :
- 27 % du code n’est plus utilisé mais reste exécuté.
- La logique métier du calcul de conformité est enfouie dans un fichier utils_v3_old_final.js.
- Aucun test automatisé.
- 9 endpoints exposés sans contrôle d’erreur.
On cartographie les modules à risque, on remonte les dépendances critiques, on expose les zones noires.
Un backlog technique exploitable
On structure un backlog technique avec trois niveaux :
- Bloquant : endpoint non sécurisé exposé en prod.
- Freinant : absence de factorisation sur les formulaires dynamiques.
- Tolérable : nomenclature CSS incohérente.
On réserve 25 % de chaque sprint à ces dettes. Intégrées dans les rituels, visibles dans les comités, commentées en démo.
Résultats ?
En 6 semaines :
- 38 % du code mort supprimé.
- +40 % de vélocité sur le traitement des demandes produit.
- Zéro bug critique remonté en support.
Le logiciel n’a pas été réécrit. Il a été nettoyé, stabilisé, préparé pour la suite.
Un logiciel qui dure, c’est un logiciel qu’on ne laisse pas pourrir
La dette technique, c’est comme les petites fuites dans un moteur. On peut rouler avec.
Mais un jour, ça pète. Et là, tout coûte plus cher : le temps, les devs, les sprints, la confiance.
Un logiciel métier, ce n’est pas juste un outil fonctionnel. C’est un actif stratégique.
Et si la dette n’est pas traitée comme un sujet produit à part entière, elle finit par le faire exploser de l’intérieur.
Vous voulez éviter ça ? Il n’y a pas 36 options.
- Cartographiez les zones critiques ;
- Créez un backlog tech exploitable ;
- Intégrez le refacto dans la mécanique de sprint ;
- Coupez ce qui alourdit sans créer de valeur.
Pas de “grande opération de nettoyage” tous les 12 mois. Juste une routine. Bien structurée. Bien tenue.
Chez Yield, on aide les équipes à construire des produits qui scalent sans se fissurer.
Pas en multipliant les process. En posant les bons cadres. Et en sachant ce qu’on peut ignorer — ou pas.
Vous sentez que chaque feature devient un combat ? Parlons-en. Avant que ce soit trop tard.
💡 Envie d’y voir plus clair sur toutes les étapes clés d’un projet logiciel ? Jetez un œil à notre guide complet pour créer un logiciel métier sans vous planter.